Les arrêts du 22 décembre 2023 sont-ils une avancée pour les employeurs ?
De tout temps, le droit à la preuve a comporté des limites :
1) La loyauté de l’administration de la preuve, dans son mode d’obtention ou dans son contenu :
Trois hypothèses distinctes :
2) Un élément de preuve, dans son mode d’obtention ou dans son contenu, ne peut porter atteinte à la vie personnelle du salarié.
Ainsi, a-t-il été jugé :
qu’une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié implique nécessairement une atteinte à la vie privée injustifiable (Soc. 26 novembre 2002, n° 00-42.401).
que la mise en œuvre d’un système de traitement automatisé de données personnelles sans déclaration à la CNIL constitue un moyen de preuve illicite (Soc. 8 octobre 2014, n° 13-14.991).
que l’employeur ne peut ouvrir les fichiers ou messages identifiés comme personnels contenus sur l’ordinateur professionnel du salarié hors la présence de celui-ci (Soc. 10 mai 2012, n° 11-13.884).
qu’il ne peut utiliser des informations extraites du compte Facebook d’un salarié obtenues à partir du téléphone portable d’un autre salarié sans porter une atteinte (disproportionnée et déloyale) à la vie privée du salarié (Soc. 20 décembre 2017, n° 16-19.609).
Dans toutes ces hypothèses, il a été considéré que le mode de preuve obtenu et produit était illicite et donc irrecevable à raison de l’atteinte à la vie personnelle ou privée qu’il avait entraînée.
Il résulte ainsi du droit de la preuve que, si la preuve est libre, tous les modes de preuve ne sont pas (également) bons parce qu’en face de cette liberté se dresse un principe ou un droit issu de l’exigence de licéité de la preuve (loyauté de la preuve, droit au respect de la vie personnelle) avec lequel elle doit se combiner.
Mais c’est précisément ce qui est en train de changer, à raison de l’émergence d’un droit à la preuve qui a été reconnu par la cour européenne des droits de l’homme (CEDH 10 octobre 2006, n° 7508/02) avant d’être consacré par plusieurs chambres de la Cour de cassation (Civ.1ère 5 avril 2012, n° 11-14.177 ; Com. 24 mai 2018, n° 17-27.969) et notamment la chambre sociale (Soc. 9 novembre 2016, n° 15-10.203).
Tout en reprenant, dans ces arrêts, certaines des solutions déjà adoptées concernant la portée du droit à la preuve, la Chambre sociale en précise le fondement juridique.
Elle réaffirme ainsi que si le droit à la preuve implique tout à la fois d’accéder à la preuve et d’en produire la teneur, il s’en déduit que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits, et notamment à la vie personnelle (Soc. 8 mars 2023, n° 21-12.492) et par suite que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats (Soc. 8 mars 2023, n° 21-20.798 et Soc. 8 mars 2023, n° 21-17.802).
L’employeur prouvait la matérialité de ces faits au moyen de transcriptions d’enregistrements audio de ces entretiens réalisés à l’insu du salarié.
L’assemblée plénière se prononce sur la recevabilité de la preuve.
Elle juge que, « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.
Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve est indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi »
Ces propos avaient été découverts par l’intérimaire chargé de le remplacer pendant ses congés, lequel avait, dans le cadre de l’utilisation de l’ordinateur du salarié absent, eu accès à son compte Facebook qui était resté ouvert.
Dans cette seconde affaire, l’assemblée plénière rappelle qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié, peut justifier un motif de licenciement que s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail
Or tel n’est pas le cas lorsqu’il s’agit d’une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique et dont les propos ne constituent pas un manquement aux obligations professionnelles.
Même si l’assemblée plénière de la Cour de cassation opère un revirement en jugeant que désormais, dans un procès civil, la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats, elle ne donne pas un blanc-seing aux employeurs.
Article rédigé par Lysiane Karki